Tribune de Caroline Véran et Laurent Vernat sur l’incroyable défi de la grande distribution face aux enjeux pressants de la RSE. Publication par LSA Green dans la Tribune d’experts (Février 2020).
La Grande distribution doit affronter des nouveaux modes de consommation plus responsables et engagés qui vont à l’encontre de son modèle économique original basé sur des prix bas, mais compensés par des volumes importants, et son modèle de distribution avec l’hyper, temple de la surconsommation en périphérie des centres villes. La grande distribution face aux enjeux de la RSE ne pourra se satisfaire d’une approche opportuniste. Elle doit travailler à une véritable stratégie RSE en inventant de nouveaux business models, garantissant sa pérennité économique.
La Grande distribution, en conflit avec son propre modèle
Le modèle économique qui depuis les années 60 règne sur les prix bas, compensés par des volumes importants, a enfermé les distributeurs dans une relation quasi- exclusivement basée sur un modèle de dominant à dominé avec leurs fournisseurs. Mais c’est aussi un modèle qui a enfermé les distributeurs dans des marges tournant autour de 1,3%. Cette guerre des prix et de part de marché a été d’autant plus facilitée par la concentration du nombre d’acteurs et de centrales d’achat (Carrefour, Auchan, Leclerc et Intermarché) jouant leur rôle de rouleau compresseur. Peu de place alors pour les petits fournisseurs, ceux aux coûts de production plus élevés, mais à la qualité plus certaine.
Les rapports de force peuvent parfois s’inverser avec la résistance de certaines entreprises qui, de par l’importance historique de leur marque et de leur attractivité auprès des consommateurs, ne veulent pas céder du terrain. C’est le cas de Coca-Cola qui entre en guerre ouverte avec Intermarché et son enseigne de discount, Netto. Pourtant, la volonté affichée des Mousquetaires était louable : baisser le poids des sodas (un marché en baisse de -3,2% sur un an) de la multinationale au profit de boissons plus locales, à la composition moins nocive et aux emballages plus éco-responsables. Une démarche engagée que ne semble pas partager la firme d’Atlanta très attachée à maintenir l’entièreté de sa gamme.
Si Intermarché a le courage et la possibilité (confrontée à la perte potentielle de clients) de maintenir ce bras de fer, et si les autres distributeurs ont la même audace vis-à-vis de Coca-Cola, alors peut-être réussiront-ils à faire bouger leur modèle en ayant une action positive en faveur d’une plus grande diversité responsable dans leur filière d’approvisionnement.
L’emploi fragilisé face aux enjeux d’une transformation du modèle économique de la GD
La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi PACTE), a pour but de donner les moyens nécessaires aux entreprises pour innover, se transformer, grandir et créer des emplois. Mais là encore la transformation de la grande distribution ne se fait pas sans dommage collatéral sur l’emploi.
Après avoir annoncé au printemps la vente de 21 hypers et la suppression de 700 postes, Auchan semble de nouveau prêt à supprimer 1000 postes. Carrefour, en pleine restructuration afin de diminuer la taille de ses hypers et de réduire la part du non alimentaire, prévoit également la suppression de 3000 emplois.
L’élément positif, est que parallèlement, les grands distributeurs s’intéressent de nouveau au commerce de proximité via des superettes urbaines aux formats plus proches des attentes des consommateurs. De nombreux entrepreneurs se sont ainsi lancés dans de l’épicerie de quartier ayant pour enseigne des grands noms de la grande distribution. L’U2P (l’union des Entreprises de Proximité) rappelait qu’à chiffre d’affaire équivalent, le commerce en centre-ville génère trois fois plus d’emplois qu’une grande surface en périphérie. À suivre, afin de réellement évaluer le solde entre la destruction et la création d’emplois…
La grande distribution face aux enjeux actuels est donc contrainte à une marche forcée dans la transformation de son modèle. Une intégration à minima de la RSE peut contribuer à répondre à l’évolution de la législation, à améliorer une image en proposant des offres de consommation plus responsables. Mais la RSE doit être stratégique et entièrement tournée vers la création de nouveaux modèles économiques pour rétablir de la valeur ajoutée pour le consommateur et de la valeur financière pour l’entreprise.
Caroline VERAN, Laurent VERNAT