Derrière le sujet complexe de la RSE, se pose l’enjeu de la transition sociétale de l’entreprise tout entière. Quelle est la bonne manière de faire ? Comment l’entreprise peut faire passer la RSE de la contrainte à l’opportunité ?
La RSE est en passe d’acquérir ses lettres de noblesse (enfin !), au regard de la volonté du gouvernement de donner aux enjeux sociaux et environnementaux une place primordiale dans sa réforme de l’entreprise. Elle va permettre de construire des stratégies RSE porteuses de sens et de valeur pour tous, solides et pérennes. Que faut-il entendre par là ? Pour en prendre la juste mesure, il est nécessaire de mettre en lumière les difficultés inhérentes au sujet et démontrer que la RSE peut passer de la contrainte à l’opportunité.
Un accès à la RSE difficile
La première série de difficultés tient au millefeuille règlementaire associé au sujet « RSE », et qui en rend l’accès rébarbatif et compliqué.
L’accumulation des textes de loi déjà existants
la loi dite NRE relative aux Nouvelles Régulations Économiques (2001), la loi des Accords Grenelle II, Art. 225 (2012) relative aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale (et son guide de Reporting) ou encore la loi relative au Devoir de vigilance (2017).
La multiplication des guides pratiques
proposés par des organisations et des agences de notations de toutes tailles pour construire des politiques RSE : la norme ISO 26000 (36 principes d’actions pour bâtir une Responsabilité Sociétale), la norme Afnor, le label Vigeo Eiris, les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) utilisés par la communauté financière, les recommandations de l’OCDE en matière de Soft Law, etc.
L’étendue des sujets d’engagement
Parlons enfin des vastes – tellement vastes ! – champs d’engagements sociaux, sociétaux et environnementaux. Une entreprise qui engage une démarche RSE peut tout aussi bien privilégier le bien-être de ses salariés, soutenir des initiatives citoyennes en faveur d’une meilleure nutrition dans le monde, réduire drastiquement sa production de déchets et ses émissions de CO2, etc. La liste des actions à mener est inépuisable ! Car, disons-le, c’est de l’humanité tout entière dont il est question en matière de responsabilité sociétale.
Pourtant personne ne demande à l’entreprise de sauver l’humanité tout entière, et encore moins de supplanter le politique. De même qu’il serait tout à fait déraisonnable que le politique contraigne l’entreprise dans sa conduite sociétale : les problèmes auxquels l’humanité doit faire face sont bien trop complexes pour supposer qu’un programme particulier soit la seule solution.
Ce champ infini des possibles de l’engagement sociétal et la profusion des manières de faire explique en partie pourquoi beaucoup s’y sont cassé les dents, pourquoi beaucoup aussi ont fait un peu n’importe quoi !
Les mauvaises pratiques à éviter
Le deuxième écueil tient aux idées reçues et aux mauvaises pratiques qui ont mis à mal la RSE. Parmi elles :
L’art d’élaborer des chartes de bonne conduite sans se donner les moyens de les concrétiser ou d’en vérifier les conséquences. #Bullshit.
Les ficelles vertes d’un marketing opportuniste qui affiche le message « nous aimons la nature » sur les emballages de produits nocifs pour l’environnement et la santé des utilisateurs. #GreenWashing.
Le choix de ne pas communiquer sur des actions sociétales et environnementales pourtant vertueuses, de crainte de mal dire ou d’être accusé d’instrumentaliser une pratique éthique. #GreenHushing.
Des pratiques sociétales et environnementales relevant d’une vision « charitable » réalisées en marge de toute stratégie d’entreprise porteuse d’innovation et de pérennité économique. #Charity.
Un recours peu vertueux aux dispositifs des mesures compensatoires : une entreprise qui pollue et qui préfère compenser des dommages qui auraient pu être évités. #Cynicism.
Ce catalogue de mauvaises pratiques – hors sujet ou opportunistes, peu scrupuleuses, voire franchement déviantes – explique en partie pourquoi la RSE n’a pas toujours véhiculé une image totalement vertueuse.
La RSE au fondement de la mutation de l’entreprise
Que devons-nous alors comprendre et attendre de l’engagement sociétal d’une entreprise ? Et surtout, quelle est, pour elle, la bonne manière de s’y prendre ?
D’abord un constat : la loi et le sens de l’histoire convergent aujourd’hui pour
(re)connecter l’entreprise, toutes les entreprises, à des valeurs humanistes.
D’une part, les obligations légales qui contraignent déjà les grandes entreprises concerneront demain les entreprises de toutes tailles. Les perceptions des citoyens et des consommateurs d’autre part se focalisent résolument sur des considérations éthiques. Enfin, et surtout, le modèle d’entreprise productiviste doit répondre à une exigence de mutation : l’efficacité économique doit de plus en plus aller de pair avec l’efficacité sociale et l’implication sociétale. En d’autres termes, ce qui est bon pour l’entreprise doit l’être pour la société tout entière.
Demain donc – si ce n’est pas déjà le cas – les entreprises devront développer leur activité
en considérant toujours en même temps leurs impacts sur autrui et l’environnement. Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard remis au gouvernement pour repenser la place de l’entreprise dans la société abonde en ce sens.
Et s’il revient à chacune d’elle de choisir l’art et la manière de faire, deux grandes tendances se distinguent (à côté du catalogue des mauvaises pratiques).
Là où certaines organisent un pilotage d’indicateurs de performances sociales et environnementales et « gèrent » le sujet dans une vision court-termiste, d’autres s’en saisissent opportunément et bâtissent de véritables stratégies d’innovation. Cette dernière manière de faire est la seule qui soit porteuse d’une vraie vision à long terme !
Pour être porteur de sens et de valeurs pérennes, l’engagement sociétal doit procéder d’une véritable stratégie d’entreprise.
Il doit être porté par la direction et placé au coeur du réacteur. Il ne doit pas être traité comme un seul enjeu éthique, mais bien comme un levier de transformation économique de l’entreprise tout entière, avec à la clef de nouveaux business modèles et des sources de motivation pour les collaborateurs et les consommateurs. Bref, une approche stratégique où on a tous à y gagner !
Cette stratégie sociétale de l’entreprise ne s’improvise pas, elle se construit avec bon sens et discernement, en partant du/des champs d’activité de l’entreprise et de ses fondations. Il y a des sujets sur lesquels une entreprise, de par son positionnement, aura tout intérêt à être remarquable, d’autres sur lesquels cela n’aura pas de pertinence.
La RSE est une formidable opportunité pour les organisations de toute taille d’innover et de croître, en réconciliant éthique et profit. Il ne s’agit pas là d’une simple mode vouée à s’essouffler, mais bien d’un enjeu de mutation profonde des entreprises et de la société, à l’image de la transformation digitale que nous avons connue au cours de ces 30 dernières décennies. Certains l’ont déjà bien compris. Les abonnés absents, les attentistes, les dubitatifs ou les réfractaires auront du mal à les rattraper…